lundi 23 août 2010

Portables, géolocalisation, espionnage

La géolocalisation transforme votre mobile en espion

Le Figaro 23/08/2010

La Cnil et de nombreux experts s'inquiètent du manque de contrôle des données collectées.

Les téléphones savants grignoteraient-ils insidieusement la vie privée? Chaque jour, de nouveaux services alléchants, comme le plan des parkings des environs avec des places libres, une carte en relief où émergent les monuments de Paris les plus proches ou encore l'affichage instantané des séances dans les cinémas des alentours, chaque jour, donc, des applications du téléphone mobile facilitent la vie des utilisateurs. Mais pour bénéficier de cette vie simplifiée, il faut confier à Internet ses allées et venues, en clair, se laisser «géolocaliser». La possibilité de situer à chaque instant les téléphones savants est ainsi à la fois riche de promesses technologiques et lourde de menaces, à en croire la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), qui a mis en garde les utilisateurs à deux reprises depuis le début de l'été. «Les risques sur la protection de la vie privée peuvent être absolument immenses», a expliqué dimanche Alain Pannetrat, expert en technologies de la Cnil. «Dans un an, on pourra dire que vous étiez dans tel endroit à proximité de telle personne.»

Les candides et les honnêtes n'y verront peut-être pas un danger, mais la Cnil redoute l'usage mal contrôlé de ces données. Car les géants d'Internet ne rendent guère de compte sur les millions de déplacements qu'ils enregistrent. Pour combler ce vide juridique, la Cnil vient de lancer un groupe de travail. Elle avait déjà encadré par le passé la possibilité de géolocaliser les véhicules de service dans les entreprises ou encore les téléphones professionnels. Car la micropuce GPS désormais insérée dans les mobiles permet de suivre à la trace le propriétaire.

«Exploitation abusive»

Sur le Net, de nombreux sites proposent d'ailleurs de jouer les espions, de traquer les maris volages, les adolescents rebelles en suivant leurs téléphones. La plupart du temps, ces «détectives numériques» sont des canulars. Mais des logiciels existent pour réellement pister un mobile, sans se faire repérer. Cet espionnage sauvage est cependant interdit par la loi.

Les géants du Web, soucieux de ne pas apparaître en inquisiteurs, proposent la géolocalisation comme un service ludique, pour retrouver des amis, avec l'accord explicite de l'utilisateur. Parfois, l'accord est un pis-aller. Car refuser d'être géolocalisé peut ouvrir une ère de soupçon parental ou conjugal. «J'ai dû accepter de m'inscrire sur Latitudes, le programme de Google pour calmer ma femme», raconte Geoffrey, 30 ans. La semaine dernière, Facebook a lancé Places aux États-Unis pour signaler à vos amis votre arrivée dans un bar, un magasin ou une rue. L'utilisateur peut décider de rendre publics ou non ses déplacements. Mais s'il s'en remet à Facebook, sans définir les critères de publication, il semble que l'information sera diffusée et que ses «amis» pourront également indiquer où il se trouve… condamnant l'anonymat pour mieux recréer le village et ses cancans.

Les internautes contribuent ainsi à la «globalisation de la surveillance», selon le sociologue Armand Mattelart. Car ces «données privées, parfois laissées par la personne concernée en toute bonne foi, se prêtent à collecte, traitement et exploitation abusive», signale le consultant François-Bernard Huyghe. Et, plus prosaïquement, à la publicité ultraciblée qui utilise l'ensemble de ce que Google ou Facebook savent de nous pour transformer une ballade innocente en shopping effréné.