INTERVIEW - Pour le deuxième anniversaire de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), son directeur, le préfet Bernard Squarcini, dévoile en exclusivité l'état des menaces qui pèsent sur la France.
Après deux ans à la tête du contre-espionnage, le patron de la DCRI fait le bilan de son action. Près de 3300 hommes et femmes, placés sous ses ordres, luttent contre le terrorisme, les atteintes à la sécurité nationale et au patrimoine économique.
LE FIGARO. - Après deux ans d'existence, peut-on esquisser un bilan de la DCRI ?
Bernard SQUARCINI. - Nous déjouons deux attentats par an. Nous investissons sur des dossiers pendant des mois, voire des années pour éviter le passage à l'acte. C'est le must de notre activité, qui se fonde notamment sur le recrutement de sources humaines de qualité. Si nous intervenons après le drame, cela veut dire que nous avons échoué dans la détection de la menace.
Avec la DGSE, nous avons amorcé un rapprochement sans précédent. Nous pêchons à la fois de manière intense au chalut pour débusquer les filières djihadistes qui partent en Afghanistan, par exemple, mais aussi au harpon, en ciblant des individus fanatisés mais isolés, n'appartenant à aucune cellule. Notre mission est de les repérer et de les «purger» au plus vite, avant qu'ils ne commettent l'irréparable. Le renseignement, comme l'assurance, cela coûte cher avant l'accident.
Quelles sont les dernières menaces que vous avez déjouées ?
Le mois dernier, nous avons démantelé une filière franco-tunisienne entretenant des liens avec le Maroc. Les candidats au djihad partaient de la région parisienne pour les zones afghanes et pakistanaises. Certains sont morts au combat sur place. D'autres comptaient revenir commettre un attentat. Nous avons aussi mis au jour la première filière marocaine à destination de la Somalie, dont l'organisateur était installé à Paris. Avant, je vous rappelle il y a eu l'affaire Adlène Hicheur, chercheur en physique des particules élémentaires au Cern à Genève, enrôlé par al-Qaida au Maghreb islamique, qui proposait comme cible le site du 27e bataillon des chasseurs alpins en Haute-Savoie. Ou encore le cas de ce converti ans qui avait planifié fin 2008 un attentat à la voiture piégée à l'islam de 29 contre un bâtiment public (éventuellement le siège de la DCRI à Levallois). Au moment de son interpellation, il était sur Internet pour se procurer des produits explosifs.
La menace d'extrême gauche s'est-elle estompée depuis le coup de filet de Tarnac ?
Non. Lors de grands sommets comme à Strasbourg, Vichy ou Poitiers, nous apercevons toujours une frange de l'ultragauche autonome cultivant une certaine thématique anticarcérale, antinucléaire, antisécuritaire.
Ces mouvements contestataires restent vivaces et se regroupent au gré des circonstances. Cela ne veut pas dire qu'ils ne font rien entre-temps: par exemple, ils ont suivi de très près les émeutes en Grèce, accompagnées d'assassinats politiques. En France, quelques clignotants s'allument. Je pense à des actions contre l'Administration pénitentiaire, le ministère de la Justice à Paris ou encore à une vague de sabotage de distributeurs automatiques de billets. Cette situation me rappelle la mouvance autonomiste «Os Cangaceiros», hostiles au plan prison d'Albin Chalandon en 1992: il y avait des attentats contre les grues. Tout était fait pour ralentir les chantiers. Nous sommes confrontés à cette même mouvance situationniste reprise aujourd'hui par certains. La mort tragique d'une jeune femme issue du milieu alternatif en manipulant un engin explosif près de Chambéry avait été un signal fort. Nous sommes dans l'antichambre du passage à l'acte.
La tentative d'attentat sur un vol Amsterdam-Detroit l'hiver dernier a montré les failles de la sûreté aérienne. Où en est-on aujourd'hui ?
Dans cette affaire, le jeune Nigérian qui voulait se faire exploser dans l'avion avait bien été signalé comme dangereux. Mais l'information était noyée dans l'une des multiples bases de données des services américains. À l'évidence, il y avait là un souci d'exploitation des fichiers. En Europe, le problème est différent: pour l'instant, nous n'avons pas les bases juridiques européennes pour identifier les individus à risques dès la phase de réservation du billet, nous n'avons accès qu'aux données d'enregistrement et a posteriori.
À quoi va servir la future Académie du renseignement en France ?
C'est un projet piloté à l'Élysée par le coordinateur national du renseignement. La première session aura lieu dès septembre. L'académie accueillera des agents du civil, mais aussi de l'armée, pour des cycles de formation et d'échange d'expérience professionnelle. Six agences y participeront: DCRI, DGSE, Direction du renseignement militaire, DPSD, Direction nationale de recherche et d'enquête douanière et Tracfin, la cellule de lutte antiblanchiment rattachée à Bercy. L'idée est de développer une culture commune du renseignement chez les participants, de mutualiser nos ressources également, surtout en ces temps de rigueur budgétaire. Ce qu'une direction ne pourra obtenir par elle-même, elle s'entendra donc avec un service frère pour le partager: ici, un spécialiste des langues rares, ourdou, pendjabi, ouzbek, tchétchène; là, un expert en électronique. Plus personne ne bricolera dans son coin. Cette Académie va démultiplier nos capacités, en favorisant, à terme, les passerelles entre services, y compris avec les militaires.
La DCRI conserve-t-elle sa mission de protection de l'image du couple présidentiel, qui l'a conduite à enquêter lors des rumeurs visant Nicolas et Carla Sarkozy ?
Tout ce qui touche à la stabilité et à la sécurité des institutions nous concerne. Qu'il s'agisse du président de la République, de ceux du Sénat et de l'Assemblée ou du premier ministre. En l'occurrence, dans l'affaire à laquelle vous faites allusion, la DCRI s'est contentée d'une simple vérification qui a donné lieu ensuite à une enquête judiciaire. À partir du moment où une personne écrit sur un blog des informations visant le chef de l'État qui sont reprises, qui plus est, sur des sites étrangers, cela nous intéresse. Nous agissons dans le cadre de notre mission.