Depuis quelques temps, on ne peut ignorer la recrudescence d’actions offensives et de textes visant à les accompagner par l’écrit. Tout le monde ou presque a sa position là-dessus, et nous n’entrerons pas ici dans ce débat là. Ce qui nous préoccupe, c’est la façon qu’à chacun de réagir à ces actions. Nous voulons parler ici d’indymedia Paris, et plus généralement des divers commentateurs/spectateurs qui fleurissent un peu partout sur le net comme ailleurs. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur la pertinence de porter les luttes sur le terrain du net (qui n’est pas un outil neutre), cependant nous sommes bien obligés, lorsque que la répression para-policière privilégie ce média, d’en discuter.
Le fait est qu’aujourd’hui, le moyen choisi (faute de mieux) par les divers groupes d’attaques pour communiquer leurs raisons, sont les médias de type « open publishing » tels les Indymedias, qui se définissent eux-mêmes comme des outils de lutte ouverts à tous contre l’État et le Capital.
Ceci dit, il est tout à fait souhaitable que les contenus antisémites, racistes, homophobes sexistes ou politiciens se fassent rembarrer par simple cohérence. Mais censurer de la même manière des communiqués de collectifs de lutte, anonymes ou non, c’est participer au silence imposé par cette société qui refuse toute lutte sortant des cadres imposés de la communication démocratique (médias bourgeois, médiations politiciennes...).
Récemment, Indymedia Paris a refusé nombre de communiqués et d’articles émanant des luttes contre les machines à expulser et à enfermer [1] ; qu’il s’agisse de tracts, d’informations sur la répression policière ou de communiqués d’actions directes [2].
Au final on peut se demander si, comme la justice et ses flics, Indymedia Paris n’aurait pas créé lui-même sa propre catégorie d’indésirables, qui souvent correspond exactement aux catégories policières. Car les textes souvent désignés par la police comme provenant de la fantasmagorique « Mouvance Anarcho-Autonome », sont les mêmes que ceux qui sont censurés par Indymedia Paris. Ceux qui sont en ce moment dans le viseur de l’État qui tente de les isoler par la répression sont donc aussi punis de la censure par le collectif Indymedia Paris, les isolant encore un peu plus.
Par exemple dans le cadre des arrestations du 15 février dernier, liées à la solidarité autour du procès des inculpés de l’incendie de Vincennes, un article détaillant l’arrestation d’une huitième personne [3] (pourtant un simple article informant d’un nouveau cas de répression), disparaissait mystérieusement et n’apparaissait plus ni dans les articles refusés, ni en attente, ni en débat, comme si il n’avait jamais existé ; en somme un pur procèdé bolchévik.
A nouveau, un tract sorti suite aux arrestations du 8 juin à Paris [4], émanant de personnes proches de l’affaire a été censuré, accompagné d’un commentaire lapidaire de la modération : « Prospectus ».
Autre exemple récent, un tract a propos des émeutes de Villiers-le-Bel et de solidarité avec les inculpés [5] a été refusé plusieurs fois. Les motifs invoqués (chronologiquement) par la modération : « Recup’ merdique. les jeunes des cités n’ont pas besoin de vous pour se révolter », « Article déjà refusé. Il n’y a pas eu de tirs de "chevrotine" [6]. Inutile de fantasmer. Et autres passages douteux comme la "canaille grands frères" » ou encore « Lire attentivement la charte. » et « Prospectus ».
Il en va de même pour un nombre important de communiqués d’actions directes, avec pour seul motif que les textes ne seraient « pas clairs » ou « inintelligibles », alors que nous savons bien que le vrai problème est ailleurs et ne se réduit pas à une simple question « stylistique ».
Tout ceci est grave.
Personne ne demande à telle ou telle organisation, collectif ou individu de relayer contre leur volonté quoi que ce soit sur leurs sites. Nous ne nous immisçons pas dans la gestion privée des médias qui leur appartiennent. Mais nous exigeons des médias à vocation publique, ouverte et libre, comme Indymedia, l’application de leurs propres principes de base, chacun étant libre par ailleurs de critiquer, d’opiner, de contre-publier des critiques ouvertes, sur un pied d’égalité [7] et tant que le contenu ne constitue pas un travail de flic. Ce n’est pas le cas d’Indymedia Paris.
Il est maintenant un autre phénomène dont nous voudrions parler, et qui, s’il n’est pas exactement de la même nature que le premier, participe néanmoins a une même logique d’isolation et de séparation.
Habituellement, nous n’accordons aucune importance, sur indymedia ou sur les forums, aux divers commentaires qui viennent généralement polluer les articles. Ils ne servent souvent qu’à satisfaire les pulsions idéologiques de quelques fanatiques du clavier. Mais lorsque ces adeptes du monde virtuel épargnent quelques heures sup’ aux flics qui nous observent avec des commentaires du type : « encore un coup des totos de Montreuil » , « encore un coup des non fides/cette semaine », « encore un texte de totos allumés qui cassent des vitrines » « "tract trouvé dans la rue" c’est signé tel ou tel », « ces gens-là, je les connais, ils ne foutent jamais un pied en manif » , « tient les non fides ont repris du service », ou encore « ce tract n’a pas été diffusé réellement » ou au moment où sortait la lettre de Damien depuis la prison de Villepinte : « Mais de quoi se plaint-il, l’ADN a parlé non ? », nous ne pouvons taire notre colère. Des commentaires venant de militants libertaires ou non, souvent bien connus et se présentant comme tel.
Quelles que soient les intentions affichées ou non de ces commentateurs, de telles affirmations participent de fait à isoler, à séparer un peu plus les différentes luttes, et à propager l’idée que les velléités offensives n’appartiendraient qu’à quelques individus facilement identifiables, kamikazes et fous-furieux, alors même que la révolte est diffuse et répandue.
Il ne devrait pas être nécessaire d’expliquer que des flics travaillent sur internet, mais leurs connaissances des divers courants et de leurs différences n’est pas nécessairement très élaboré, que donc ce type de commentaires leur rend la tache plus facile. Est-ce vraiment ce que vous cherchez ?
Il n’est certes pas un problème d’assumer publiquement haut et fort ses idées et sa solidarité avec tel ou tel acte conflictuel, mais revendiquer des actes particuliers de la même façon est une autre paire de manches, pour des raisons qui paraissent évidentes, du moins parmi ceux et celles pour qui la lutte contre l’autorité n’est pas qu’une affaire de mots, de postures intellectuelles ou de rôles sociaux. Et si des personnes trouvent pertinent, voir nécessaire, de ne pas signer les textes qu’ils souhaitent diffuser, c’est qu’ils ont leurs raisons, qui ne sont pas discutables, mis à part pour les quelques-uns qui ont pris l’habitude à ce que le sigle de leur organisation permanente apparaisse en bas de chaque tract, comme un réflexe conditionné, et comme si la visibilité n’était qu’une question de signature.
Au delà de son propre positionnement, qu’il soit d’ordre théorique, pratique ou idéologique, il y a des choses dont on ne peut pas parler n’importe où, n’importe comment et n’importe quand, malheureusement. Mais entre exprimer son désaccord avec un certain type d’offensive(s), voir avec telle ou telle action, et jouer les flics du net, chercher qui se trouve derrière chaque tract, affiche, journal, action directe, il y a un pas à franchir, que seuls les mouchards franchissent.
Plus largement, on peut se poser des questions sur l’intérêt de poster des commentaires lapidaires de quelques lignes si insignifiants sur le net, qui démontrent l’incapacité regrettable à produire une analyse, une réflexion et une critique un peu poussées, en dehors de quelques mots d’insulte et de discrédit prononcés à chaud et toujours sur internet.
Pour en revenir au cas particulier d’indymedia Paris, ce texte est le dernier que beaucoup d’entre nous (essayeront de) publier sur ce site, et nous appelons quiconque est en accord avec ces quelques lignes à faire de même, et à aller chercher ou propager l’information ailleurs, en attente d’une réaction claire à ce texte.
Nous ne souhaitons pas insister sur le rôle présumé d’un ou plusieurs individus au sein du collectif, mais mettre chacun devant ses responsabilités. Le collectif Indymedia Paris est responsable dans son intégralité, que ce soit de façon active ou passive, des choses qui sont faites en son nom.
Assemblée d’anti-autoritaires.
PS : Nous invitons tous les individus et collectifs possédant un média (journaux, table de presse, lieux, site...) à publier si comme nous ils en ressentent l’intérêt, ce texte ou des réponses, et ce dans la volonté de faire naître un débat pour l’instant quasi-inexistant sur la question.
Notes
[1] Parfois des articles sont publiés puis dé-publiés, le plus souvent ils sont refusés d’emblée et cachés en des recoins du site auxquels seuls les connaisseurs de l’outil ont accès.
[2] Alors que bizarrement, de nombreux articles émanant du pouvoir et de ses amis - NPA, syndicats, chefs d’État anti-impérialistes-, ou des annonces de débats présidés par des conseillers régionaux et des magistrats passent sans problème. Si ça ne s’appelle pas choisir son camp...
[3] Affaire « DABs-balades... » : La 8e personne arrêtée et interrogée http://grenoble.indymedia.org/2010-05-30-Affaire-DABs-b...-8eme
[4] Ils veulent la guerre ? http://www.non-fides.fr/?Ils-veulent-la-guerre
[5] Guerre et paix - A propos des émeutes de Villiers-le-Bel http://lille.indymedia.org/article22808.html
[6] Précisons tout de même qu’il y a bien eu des tirs de chevrotine, que c’est d’ailleurs pour cela que certains seront jugés aux assises. Aussi, d’autres textes plus politiquement corrects certainement, et qui mentionnent ces mêmes tirs de chevrotine ont eux été publiés sans embuches.
[7] notamment de la part des modérateurs zélés en question.
Indymedia Nantes, mardi 15 juin 2010.