samedi 16 janvier 2010

Belgique : "Violents, les nouveaux anars"

[Nouveau joyau de journalisme policier]

VIOLENTS, LES NOUVEAUX « ANARS »

Souterraine, organisée et jusqu’ici jamais mise en lumière, l’anarchie belge s’en prend au capital et au monde carcéral. Les incendies et les dégradations se comptent désormais par dizaines. Une stratégie qui s’appuie sur Internet.

Athènes, dimanche 27 décembre 2009, 23 heures. Une bombe de forte puissance détruit ou peu s’en faut les bureaux d’une compagnie d’assurances. Berlin, dans la nuit du lundi 28 au mardi 29 décembre. Vingt-trois autobus d’une compagnie sous contrat avec le ministère allemand de la Défense sont ravagés par des casseurs, dans leur entrepôt. En même temps ou presque, rue Herdebeek à Itterbeek (Bruxelles), un incendie criminel ravage les engins d’un chantier ferroviaire d’Infrabel mené par l’entreprise Valens. Quatre grues et d’autres machines sont détruites. Quel rapport entre ces événements ? Dans chaque pays, les autorités estiment que leurs auteurs proviennent d’une frange dure de la mouvance anarchiste de gauche - certes bien plus visible en Grèce et en Allemagne qu’en Belgique. S’il est vrai que l’enquête pour le chantier Valens est toujours en cours, d’autres hypothèses restant ouvertes, ce fait divers s’ajoute à beaucoup d’autres où la piste des anarchistes est visible. Des cas passés largement inaperçus du public jusqu’ici, mais pas de la police fédérale, ni de la Sûreté de l’Etat, ni encore du parquet fédéral, qui ne sont guère loquaces à ce sujet. « Le phénomène est minutieusement suivi par le parquet fédéral, mais nous ne faisons pas de commentaires », déclare sans plus sa porte-parole, Lieve Pellens.

L’ami Internet

En revanche, le vecteur Internet « parle » beaucoup plus. Une nouvelle génération d’ « autonomes » belges se l’est approprié. Appels à la mobilisation, commentaires, listes de méfaits commis ou de cibles potentielles... On trouve de tout sur quelques sites/blogs, de l’anodin à l’essentiel, et plus ou moins ouvertement sous la bannière noire de l’anarchie. Des revendications ? Au moins une reconnaissance, souvent bienveillante pour les auteurs. On trouve un bon exemple de cette reconnaissance avec le chantier Valens/Infrabel dans les « brèves de la guerre sociale » du site/blog « Suie et Cendres ». Après avoir brièvement dépeint le résultat de l’incendie, en s’inspirant d’un article de presse, le site précise, en « note de la rédaction », que « Valens, qui fait partie du groupe Eiffage, participe à la construction du nouveau centre fermé pour clandestins à Steenokkerzeel ». Ce qui est censé tout expliquer, parce que l’anarchie « vandalo-violente » s’est attribué trois grandes campagnes, depuis l’émergence de la nouvelle génération belge, née voilà peut-être deux ans et demi. Elle pose ainsi des actions de soutien aux anarchistes étrangers (notamment grecs, parfois avec leur aide). La deuxième campagne s’attaque de façon plus classique à tout ce qui symbolise la société capitaliste en général. La troisième - et la plus dense - vise enfin les entreprises et les institutions actives dans le monde carcéral, prisons et centres fermés pour illégaux. Pourquoi ? La réponse se trouve entre autres dans la revue anarchiste Tout doit partir : « Reposer la question des camps de l’Etat dans le domaine public, empêcher si possible que celui-ci se munisse d’un nouvel outil de répression. Poser la question des centres ne se limite pas à leurs seuls territoires mais à toute la mécanique sociale qui les fait exister. » L’optique serait donc de bloquer la société. Valens-Eiffage construit un « camp » ? Il faut frapper Valens-Eiffage... Bref, la liste des faits, que l’on peut compiler au départ des sites/blogs de « Suies et Cendres », de « Liste noire » ou « Black List », des « Ennemis des frontières », du « Cemab » (un portail de médias alternatifs), est impressionnante. Elle comporte des dizaines de « coups » qu’on peut effectivement attribuer aux « anars ». Il s’agit de messages peints sur des bâtiments d’entreprises actives dans ce milieu carcéral - avec l’émotion que cela provoque quand il s’agit de petits indépendants -, de dégradations et/ou d’incendies, réussis ou non, de bâtiments de l’Etat, d’agences de banque, de véhicules de police et de diplomates (grecs) ainsi que de distributeurs de billets. Bloquer les serrures de salles d’audience du palais de justice de Bruxelles « en soutien aux camarades grecs » est aussi de mise.

Des dizaines de (mé)faits

« Il n’y a pas de suite logique », commente un acteur de terrain qui admet que les auteurs, pas si bêtes, restent à ce stade imprévisibles et imprenables. Voilà pourquoi la liste des « incidents » s’allonge depuis près de deux ans. Quelques exemples. « Freedom for the Anarchist », peint-on dans la nuit du 9 avril 2008 sur la résidence de l’ambassadeur de Grèce. Le 12 mai suivant, un distributeur de billets prend feu à Saint-Gilles. Il appartient à la Banque de La Poste et sera suivi par trois autres. Cette banque, rappellent des messages laissés par les vandales, gère les comptes de cantine des détenus. Puis, le 17 juin, un premier incendie touche un véhicule d’ISS Cleaning, qui entretient des centres fermés. Il y en aura d’autres. Comme la plupart des précédents, ces faits sont annoncés sur Internet. Et, parfois, dans Tout doit partir. On passe sur des faits du même ordre commis en 2009 pour retenir l’occupation, le 29 avril dernier, de la faculté de criminologie de Gand par une vingtaine de personnes masquées. La crimino, parce qu’elle « est liée de près avec les institutions pénitentiaires, la justice, la police et parce que ceux qui ont condamné chaque jour des personnes à des années de prison ou à la déportation ont débuté leur scandaleuse carrière dans cette faculté », selon un message laissé sur place. En septembre 2009, la Stib est visée parce qu’elle a durci le ton à l’égard des SDF. Une trentaine de distributeurs de tickets sont mis hors service avec les moyens du bord : cure-dents et glu, mousse expansive ou soudure à froid. Le bâtiment Sodexho d’Auderghem y passe le 29 novembre suivant : 20 vitres brisées et un tag « Sodexo = collabo avec centres fermés ». Mais d’autres entreprises ou institutions pourraient être menacées. Ainsi, le 20 décembre dernier, « Liste noire/Black List » a édité sur la Toile une liste de celles « qui collaborent avec les prisons, les centres fermés et la répression », notamment en construisant le centre fermé de Steenokkerzeel. En tête et parmi les plus importantes de ces entreprises : Besix et Valens (lire page 20).

De petites cellules indépendantes

Mais qui sont ces nouveaux venus sur la scène anarchiste ? Les données sont rares. Ils fonctionneraient, peut-être avec des sympathies « concrètes », à la manière des activistes de la cause animale, du genre « ALF » (Animal Liberation Front). « De petites cellules indépendantes les unes des autres, mais capables de se reconnaître, voire d’interagir », estime un interlocuteur du monde du renseignement. « Pour nous, c’est un cas de figure difficile : détecter l’une d’elles et la pénétrer ne nous apporte pas grand-chose, car les autres nous restent fermées. » Toujours est-il qu’on estime ces anarchistes violents à une centaine, sans doute basés à Gand et à Bruxelles (Saint-Gilles ? Molenbeek ?). L’un de leurs points de chute pourrait être un local anarchiste bruxellois ouvert en 2008, la « Bibliothèque Acrata » (lire p. 24). Elle semble en tout cas en forte convergence avec les revendications des vandales. Mais, selon certains observateurs du côté du maintien de l’ordre, ces anarchistes pourraient aussi être liés au monde des squats. C’est toutefois incertain : « Les squats se heurtent par essence, avec ou sans revendication, à la propriété privée. Donc au fondement idéologique du système », explique José Garcia, secrétaire général du Syndicat des locataires de logements sociaux, en contact fréquent avec des squatters. « Il est dès lors naturel qu’y apparaissent des gens qui ont d’autres valeurs, comme des anarchistes. J’en ai observé qui ne semblent d’ailleurs pas squatter par obligation et ne le font pas tout le temps. » Mais des anarchistes violents ? « Ça me surprendrait, même si, le cas échéant, ils se garderaient bien de nous le dire. Cette violence est en rupture avec l’anarchie belge classique. Moi-même proche de cette sensibilité, je n’agirais jamais ainsi. » Même incompréhension à la suite de la publication récente, sur Internet, du nom et de l’adresse de membres d’institutions ou d’entreprises ainsi offerts à une vindicte éventuelle. « L’anarchie s’en prend volontiers aux structures, pas aux personnes. Pour moi, ceux qui visent les personnes sont les fascistes. » Nouvelle génération et autres m£urs ? Ou dérapage d’anars post-industriels non encore aguerris ? En tout cas, ce réseau - qui n’affiche aucun nom à Bruxelles, la discrétion étant gage de liberté en anarchie - pourrait voir venir des temps plus difficiles. Ce n’est sans doute pas un hasard si, début décembre 2009, la ministre de l’Intérieur, Annemie Turtelboom (Open VLD), annonçait avoir obtenu mandat du Conseil des ministres pour dresser un nouveau plan « antiradicalisme » se fondant sur un rapport de l’Ocam (Organe de coordination pour l’analyse de la menace) « qui établit le danger des groupuscules d’extrême gauche ou d’extrême droite » dans notre pays. Or, souterraine et violente, l’anarchie entre dans ce champ...

Roland Planchar

Incendie criminel sur un chantier d’Infrabel à Itterbeek (Bruxelles) : « Un article n’est pas nécessaire. » Manif de soutien au criminel Nordin Benallal, en 2006, devant le palais de justice de Bruxelles. Le drapeau américain, cible anarchiste...

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Le Vif/L’Express - 15-01-2010

BREVE VISITE CHEZ LES « ANARS »

L’un des ports d’attache des anarchistes vandalo-violents pourrait être la « Bibliothèque anarchiste Acrata », comme sa vitrine de la petite rue de la Grande Ile la dénomme, dans le bas de Bruxelles. En fait, il s’agit plutôt d’un local, d’une salle de réunion. Pour ses créateurs : « (...) un instrument destiné à aiguiser nos connaissances et à trouver des bases solides pour affronter la domination », l’« oppression » et l’« exploitation ». Ouvert le 17 mai 2008, l’endroit - qui fut visité par la police dès le mois d’août suivant - n’est pas anodin. Internet en donne de nombreuses traces, même loin à l’étranger. Des réunions très militantes s’y déroulent assez régulièrement, parfois avec un caractère international. Quant à sa vitrine, elle est flanquée d’affiches reprenant des thèmes de campagne actuels, comme « Sabotons la machine à expulser », ce qui vise singulièrement l’édification du centre fermé de Steenokkerzeel. On y voit également le dernier numéro de la revue anarchiste Tout doit partir, où Acrata et la lutte contre ledit centre sont cités d’abondance. Mais la « bibliothèque » est-elle vraiment liée aux « événements » ? On peut toujours le demander à ceux qui s’y réunissent, même si la visite risque d’être courte, car l’anarchie moderne n’aime pas la presse (à ses yeux, elle est associée au capital abhorré et au pouvoir exécré). Bref, on ouvre la porte d’Acrata le premier jeudi de 2010, soir de permanence, à 18 h 16. Grande table basse de récup’ et sièges d’un âge incertain au centre, étagères, livres et revues révolutionnaires appuyées aux murs, l’endroit a été mis au régime du strict nécessaire, lumière comprise. Une douzaine de jeunes gens, filles et (surtout) garçons entre 18 et 25 ans, devisent. D’un abord a priori accueillant, ils semblent typés « bonne éducation », voire d’allure bourgeoise. Mais se présenter comme journaliste suscite d’abord de petits rires nerveux et moqueurs, avant que celui qui n’est pas le chef (on est en anarchie, quand même...) quitte des yeux l’ordinateur de service et, d’un même élan, jaillisse de sa chaise en faisant mouvement pour expulser l’intrus. « Putain, si c’est pas clair qu’on ne veut pas de journaliste ici ! » résume-t-il. Dix pas plus loin et une porte plus tard, la visite est terminée. Il est toujours 18 h 16. Alors, connectés aux « combattants », ceux d’Acrata (« anarchiste », en espagnol) ? Ou « simples » sympathisants ? Mystère.

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Le Vif/L’Express - 15-01-2010

DES ENTREPRISES ENNUYEES

Victimes des dégradations et des incendies, les entreprises réagissent différemment. Avec émotion, pour ce petit entrepreneur flamand qui avait vu ses murs tagués et était affligé d’être dénoncé comme « collabo » auprès du voisinage, ce qu’il ressentait comme une injustice. Avec le plus grand silence, comme chez Valens-Eiffage où on refuse tout commentaire sur l’incendie du 29 décembre 2009 au chantier Infrabel d’Itterbeek. « Le juriste estime qu’un article n’est pas nécessaire », nous y a-t-on répondu en tout et pour tout. D’autres se veulent plus transparents, comme le géant de la construction Besix, cible comme les autres des anarchistes pour participer à la construction ou à l’entretien de prisons et centres fermés. A la mi-octobre 2009, ses bureaux de Gand avaient été ravagés par une vingtaine de personnes cagoulées, au grand dam des quelques employés déjà présents, qui avaient été véritablement choqués. Alors, que dit son porte-parole, Bart Wuyts ? « Besix ne fait pas de politique, Steenokkerzeel est pour nous un chantier comme un autre », explique-t-il. « Mais il est vrai que la police fédérale nous a indiqué qu’il s’agissait d’une action d’anarchistes. Nous prenons cela très au sérieux car, pour nous, la priorité, c’est la sécurité du personnel, le nôtre et celui de nos sous-traitants. »


(Trouvé dans les Brèves du désordre.)