mardi 5 janvier 2010

A Berlin, l’extrême gauche en croisade anti-bobos (sic)

[Un joyau de littérature journalo-policière]

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Voitures brûlées, cocktails Molotov… les actions se font de plus en plus violentes.

En ce dimanche matin, Thomas a trouvé un petit tas carbonisé à la place de l’Audi A8 dernier cri qu’il avait garée devant sa porte à Prenzlauer Berg, un quartier bobo de Berlin. Les policiers ont enregistré sa déposition par routine… Pour les seuls neuf premiers mois de l’année 2009, 260 véhicules, la plupart de luxe, ont brûlé dans les rues de Friedrichshain, Kreuzberg et Prenzlauer Berg, trois zones branchées de Berlin. La destruction de l’Audi A8 de Thomas vient s’ajouter à la liste déjà longue des délits imputés à l’extrême gauche berlinoise l’an dernier.

Les autonomes cherchent à freiner l’embourgeoisement de quartiers ouvriers devenus à la mode, et peu à peu vidés de leur population d’origine. Voitures en flammes, affrontements de rue, cocktails Molotov lancés contre un commissariat ou un local utilisé par l’extrême droite, attaques contre des policiers… Mais si Berlin est concerné en premier lieu, le mouvement touche aussi Hambourg, Francfort, Leipzig, Potsdam…

Squats.

Dans un rapport provisoire sur l’année 2009, le BKA (la police fédérale) souligne que les actes de violence imputables à la mouvance «autonome» au sens large (un ensemble hétérogène qui réunit militants antifascistes, anarchistes, punks et autres membres du Black Block) ont bondi de plus de 50% par rapport à 2008. Le BKA estime par ailleurs que les 5 000 à 6 000 autonomes allemands (dont 2 000 à Berlin) auraient franchi au cours des derniers mois un seuil dans la radicalisation de leur mouvement «avec des actes mieux planifiés et plus symboliques».

Mi-décembre, un cocktail Molotov était lancé contre un commissariat à Berlin. Quelques semaines plus tôt, le parti d’extrême droite NPD, le Harakiri, un magasin de Prenzlauer Berg vendant des articles d’extrême droite, et le Germania Klause, un café fréquenté par les néonazis, étaient visés. La plupart des attaques ont lieu la nuit, et 32% des délits, les nuits de samedi à dimanche.

«Les actes des dernières semaines ont une intensité comme on n’en avait plus vu depuis la terreur des années 70, [l’époque de la bande à Baader, ndlr]», estime Christian Pfeiffer, de l’institut de criminologie de Basse-Saxe. «On note une proximité symbolique avec le terrorisme», estime pour sa part Hans-Gerd Jaschke, politologue. «Les actions sont justifiées par des arguments piochés dans la rhétorique antimondialiste, antifasciste, ou antimilitariste, estimait la présidente des services de renseignement intérieur, Claudia Schmidt, lors d’un récent colloque à Berlin. L’idée est que si on fait brûler une voiture, c’est un attentat, mais que si on en fait brûler 100, c’est un acte politique.»

La «gentrification»… Ce mot désignant le phénomène urbain d’embourgeoisement d’un quartier populaire est nouvellement apparu dans le débat politique allemand. Et dans de nombreuses villes, essentiellement en ex-RDA, les autonomes allemands ont fait de la lutte contre cette mutation sociale leur grand cheval de bataille. A Berlin, le phénomène a déjà transformé Mitte, le cœur historique de la capitale, laissé à l’abandon par le régime communiste et profondément délabré au début des années 90, après la réunification. Prenzlauer Berg, l’ex-repaire des intellectuels est-allemands a suivi. Ces deux zones, autrefois bon marché, ont perdu 80% de leur population d’origine. A Prenzlauer Berg, les étudiants fauchés de l’après-réunification ont pris pied dans la vie active. Leurs besoins (crèches, écoles de qualité, logements confortables) se sont modifiés au même rythme que leurs ressources et le montant des loyers.

Pyromanes.

Aujourd’hui, c’est Friedrichshain et Kreuzberg, abritant les derniers squats berlinois, qui sont à leur tour touchés. L’agence de recherches sur le développement urbain Asum vient de révéler les conséquences de dix années de recherches portant sur les environs de la gare de Ostkreuz à Friedrichshain. «Seuls 10% des habitants vivent ici depuis plus de quinze ans, insiste le rapport. Deux tiers des habitants ont déménagé au cours des six dernières années. Comme beaucoup des habitants gagnent bien leur vie, le revenu moyen de ce quartier, jadis défavorisé, est aujourd’hui supérieur à la moyenne de la ville. Les loyers ont suivi : la moyenne est de 5,42 euros le mètre carré, soit 40 centimes de plus que la moyenne berlinoise. Et la forte fluctuation des locataires favorise la hausse des loyers : les loyers de plus de 7,50 euros le mètre carré, voire 10 euros ne sont pas rares.»

En juin, les autonomes annonçaient sur Internet le lancement de leurs «semaines d’action» pour «créer de nouveaux espaces libres dans une ville menacée de gentrification». Pour eux, il s’agissait alors de lutter contre «la revalorisation capitalistique de Berlin par le biais de luxueuses rénovations d’immeubles délabrés». Mettre à feu les voitures de ces nouveaux capitalistes ou lancer un cocktail Molotov contre la façade d’immeubles de luxe seraient les moyens que justifierait la fin. La police semble dépassée, faute de ressources. A ce jour, seuls quatre pyromanes potentiels ont été arrêtés. Mais pas un seul n’a pu être condamné, faute de preuves suffisantes, ce qui ne serait possible qu’en cas de flagrant délit. Or il suffit de quelques secondes pour mettre feu à un véhicule.

Source: Libé