Sur la grève de la faim des prisonniers anarchistes
Avec l’édition de la présente brochure, nous avons l’intention de faire connaître la lutte menée récemment par quelques prisonniers anarchistes contre l’État dans diverses parties du monde, en utilisant la grève de la faim, initiative qui a duré du 20 décembre 2009 au 1er janvier 2010 (exceptés Marco Camenish et Gabriel Pombo Da Silva qui ont commencé la grève le 18 décembre en solidarité avec les prisonnières turques et en mémoire de toutes les personnes assassinées dans les geôles de ce pays).
La particularité de cette grève a résidé, d’un côté, en ce qu’il ne s’agissait pas d’une lutte pour obtenir de meilleures conditions de détention ni pour avancer des réclamations légales pour la "liberté" des engeôlés, mais comme l’a très bien exprimé Gabriel :
"Il n’y a pas de points revendicatifs, c’est un appel, un geste d’amour, un appel à la lutte et à continuer de lutter … nous ne voulons pas de prisons avec des barreaux en or, nous voulons détruire les prisons, mais pour détruire les prisons nous avons aussi à détruire le système et la société carcérale… C’est un appel clair à la lutte, à la lutte révolutionnaire, nous ne voulons pas qu’ils nous donnent plus de nourriture ou plus de douches et plus de travail, nous voulons détruire toute cette saloperie… commençons par le petit nombre que nous sommes, essayons de la diffuser à d’autres compagnons ; si nous étions dans la rue il est évident que nous n’utiliserions pas la grève de la faim, nous serions en première ligne, brûlant ou pillant ou que sais-je encore … nous ne perdrions pas notre temps ici, la seule chose qui nous reste maintenant à offrir réside dans un geste digne pour les compagnons qui sont tombés dans la lutte, en particulier Mauricio Morales… et pour tant de personnes qui sont tombées en empruntant ce chemin … pour se souvenir d’elles dignement. Et cela signifie donc avoir un peu faim certes, mais en même temps se sentir partie d’un collectif d’individualités…".
D’une autre part la réponse à l’appel à l’offensive de l’autre côté des murs a été, du moins dans le contexte latino-américain, particulièrement forte, tant dans l’intensité que dans la continuité, compte-tenu surtout du temps pendant lequel la grève s’est déroulée.
Une initiative qui n’était rien de plus qu’un appel à la guerre, à se souvenir des compagnons tombés au combat (Mauricio Morales, Zoé) ou assassinés par l’État dans ses centres d’extermination (Agustín Rueda, Soledad Rosas, Paco Ortiz, Salvador Puig Antich, Xóse Tarrío …), et qui ne pouvait que se diffuser dans les rues sous la forme d’actions directes, qui démontrent la valeur réelle des insurgés aux quatre coins de la planète, et qui maintiennent vivante la possibilité réelle de vivre l’anarchie.
Il revient aux compagnons emprisonnés de faire leur bilan/analyse de ce qu’a signifié cette grève, nous pouvons quand à nous parler de ce que nous sentons dans notre réalité la plus concrète …
À ce qu’il semble, une bonne partie des anarchistes latino-américains ont décidé d’approfondir leurs attaques et d’initier une offensive plus concrète et intense, en sortant de la torpeur des assemblées, des processions de cour martiale encadrées à l’intérieur de la marge du tolérable par le système, et de l’équivoque des logiques de soutien et de distanciation avec les frères et soeurs emprisonnées.
Nous croyons avoir parfaitement démontré l’efficacité de l’organisation informelle entre des individualités partageant une volonté subversive, au-delà de l’utilisation ou non d’acronymes ou de sigles.
Des symboles de l’État, du capital, des intérêts de la police, ont été attaqués, incendiés, criblés de balles. Cela sans aucun comité central ni bureaucratie qui ordonnerait ou pas d’exécuter des actions, qui assignerait des tâches, comme beaucoup de charognards de la presse en rêvent, et en rejetant de la même façon comme obsolètes et dangereuses les structures statiques et formelles (parfois semi-formelles) des vieilles fédérations, pour ne citer qu’un exemple.
Nous désirons que l’on comprenne l’organisation informelle comme moyen de communication et de mise en commun des pratiques entre anarchistes et autres réfractaires, pour porter en avant les actions qui tendent à détruire l’actuel état des choses, qui tendent vers la révolution, sans nécessiter des réunions hebdomadaires ni de grands documents rédigés en commun sous un consentement toujours destructeur de l’individualité, qui reste à nos yeux le moteur principal de la volonté dans la lutte pour la liberté.
Nous entendons l’affinité de la même façon.
Quand la rage, l’amour, la dignité, sont supérieures à la peur et à la certitude que le quotidien nous offre, quand nous ne permettons à aucun charlatan et autre professionnel de l’attente et de la manipulation (dont certains tiennent des discours radicaux) de nous apaiser, et lorsque nous comprenons que l’action est la seule façon pour nous d’ouvrir une brèche dans ce merdier, alors nous sommes capables d’agir comme nous le désirons, d’être une communauté d’individualités libres, solidaires et anti-hiérarchiques.
Dans ce sens la multiplicité des attaques, allant de paire avec la diffusion et la propagande décentralisées, nous permettent d’augurer une perspective satisfaisante pour la pratique insurrectionnelle dans le contexte du cône sud, voir même dans toute l’Amérique latine.
Il est naturel aussi que, dans la mesure où la perspective anarchiste se renforce et prend de l’ampleur dans cette guerre sociale, l’ennemi en fera de même par la répression, ce qui est somme toute une réaction attendue devant laquelle nous devrions éviter d’adopter des postures de victimes (un exemple de cela nous est fourni par ce qui se passe au Chili et au Mexique, où des compagnons sont emprisonnés sous de lourdes charges).
Cela nous invite aussi à nous préparer et à être à la hauteur, en apprenant de situations qui, bien qu’elles se soient produites dans un autre contexte (l’Italie, l’Espagne), nous servent à tirer quelques conclusions, étant donné que les sbires des diverses nations utilisent eux aussi l’internationalisme à l’heure de réprimer la dissidence réelle (l’instruction menée par le bourreau Marini et la collaboration du FBI avec l’État chilien le démontrent suffisamment).
Avec ce rappel, nous incitons à la prudence mais pas à l’inaction, à aiguiser notre projectualité et nos perspectives, pour frapper l’ennemi au visage, et enfin l’abattre. À être préparés et décidés.
Les temps à venir seront sans doute durs, des temps de délation peut-être, de piège et de trahison, mais ce sont des temps qui méritent aussi d’être vécus, et cela vaudra toujours plus que l’attitude de l’énorme masse de zombis qui se promènent devant les vitrines des grandes villes, enfermée dans ses prisons, faisant appel à ses propres bourreaux…
Les temps à venir seront sans doute durs, des temps de délation peut-être, de piège et de trahison, mais ce sont des temps qui méritent aussi d’être vécus, et cela vaudra toujours plus que l’attitude de l’énorme masse de zombis qui se promènent devant les vitrines des grandes villes, enfermée dans ses prisons, faisant appel à ses propres bourreaux…
L’affinité réelle, la fraternité entre exploités, se constitue quand d’un côté comme de l’autre nous nous reconnaissons comme prisonniers en guerre (comme des deux côtés il y a aussi les autres, les résignés, les légalistes et autres collaborateurs).
Que jamais ne s’éteignent les feux de la révolte, ni ne cessent les actions vengeresses pour nos frères assassinés ou emprisonnés, telle est notre tâche.
Que nous réussissions aussi à sortir de la spirale action / réaction, c’est notre désir, pour lequel nous donnons tout …
Prisonniers en guerre… Liberté !
Quelques anarchistes.
Buenos Aires, janvier 2010.
Introduction de la brochure La venganza de Prometeo,
janvier 2010, traduit de l’espagnol.