jeudi 31 décembre 2009

Avant la St-Sylvestre, les mortiers de feux d’artifice interdits à la vente libre


Le décret interdisant ces engins au grand public est paru ce mercredi au Journal officiel. Si le ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux en avait fait une priorité, les professionnels du secteur ne décolèrent pas.

Extinction des feux d'artifice par Hortefeux. Ce mercredi, un décret «portant réglementation des artifices de divertissement» est paru au Journal officiel. La belle bleue de la Saint-Sylvestre, le bouquet final du 14 juillet ou l'embrasement pour le mariage, c'est interdit... du moins sans «certificat de qualification ou agrément délivré par la préfecture». Le décret entre en vigueur jeudi 31 décembre, au matin, jour de réveillon et de débordements éventuels. Tout contrevenant encourt une amende de 1500 euros.
Pour le ministre de l'Intérieur, les feux d'artifices, c'est agressif et plus du tout festif. Dans certains quartiers sensibles, les mortiers – ces tubes rechargeables destinés à lancer les pièces pyrotechniques – sont détournés de leur usage et utilisés en tir tendu contre les forces de l'ordre et les secours.
Un commissaire gravement blessé à l'oeil par le tir d'une fusée en juillet 2008, à Asnière-sur-Seine ; huit policiers blessés lors d'une manifestation de soutien à Julien Coupat en février 2009, à Paris ; une patrouille sous le feu de tirs de mortiers d'artifice, le 28 juin, à Tremblay-en-France... Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat Alliance Police nationale, égrène les agressions de forces de l'ordre par mortiers. Il se félicite : «Ce texte était une demande du syndicat. Nous sommes satisfaits d'avoir été entendus si rapidement, même si nous aurions souhaité que le gouvernement aille plus loin. Les agressions par mortier de représentants de l'Etat sont des faits graves et marquants. Nous attendions cette réponse juridique.»
Agrément préfectoral nécessaire
C'est que Brice Hortefeux tonne et menace depuis quelques mois déjà. Premier coup de semonce en septembre, lors d'une visite au commissariat de Sevran (Seine-Saint-Denis): «J'en ai assez de voir tous les matins des rapports de la hiérarchie indiquant qu'au cours de la nuit, il y a eu des attaques à coups de mortiers de feux d'artifice. J'ai demandé que l'on mette fin à leur utilisation, donc à leur vente, pas pour quelques catégories, mais pour la totalité.» Bis repetita, le 17 octobre, à Saint-Etienne, lors du congrès national des sapeurs pompiers.
En France, les artifices de divertissement sont classés de «K1» à «K4», selon leur puissance et leur dangerosité. En «K1», les pétards et autres cierges magiques. Le risque est minime. Les mineurs peuvent les acheter et les utiliser. La catégorie «K4» regroupe les bombes de calibre supérieur à 105 mm et les artifices contenant plus de 500g de matière explosive. Seuls des professionnels ou des personnes qualifiées peuvent les manipuler. Les catégories «K2» et «K3» rassemblent les artifices de gabarit intermédiaire. Y compris les bombes, chandelles romaines et autres comètes qui font de belles couleurs et d'étonnants dessins dans le ciel étoilé. Le décret vise directement ces pièces pyrotechniques lancées par un mortier.
Jusqu'ici, l'utilisateur devait simplement respecter le mode d'emploi et quelques précautions élémentaires de sécurité. Dès jeudi, tout utilisateur devra solliciter un «agrément préfectoral, pour une durée déterminée, accordé ou retiré selon les garanties présentées par le demandeur, au regard des exigences de la protection de la sécurité publique».
Particuliers, communes, comités des fêtes... tous concernés
Ce texte durcit et harmonise la législation existante. Les préfets pouvaient déjà interdire temporairement certains engins pyrotechniques, après appréciation de la situation départementale. Avec ce décret, tout le monde est concerné, exceptés les professionnels, déjà qualifiés, et les mineurs, déjà exclus. Particuliers, communes, comités des fêtes, associations, sur l'ensemble du territoire et durant toute l'année.
Les professionnels de la pyrotechnie sont en pétard. «C'est de la stigmatisation», regrette Henri Miermont, secrétaire général du Syndicat des fabricants d'explosifs de pyrotechnie et d'artifices (Sfepa). «Ce décret transforme des produits de divertissement en explosifs dangereux. Ça n'a rien à voir avec ceux utilisés dans les mines ou les carrières. La manipulation de ces derniers nécessite, par exemple, un casier judiciaire vierge.»
Les professionnels sont en désaccord avec le ministère concernant la dangerosité des produits incriminés. Le Sfepa a procédé à des tests sur les protections utilisées par la police. Les protections ont résisté, assure le syndicat. «Pour le ministère, la situation est grave. Mais il n'a jamais détaillé le nombre d'agressions par mortiers d'artifice», souligne Henri Miermont.
«Stigmatisation indifférenciée et généralisée»
L'incompréhension des professionnels est d'autant plus grande qu'ils estiment avoir prouvé leur esprit de responsabilité. Dès 1999, de leur propre initiative, ils ont restreint la vente au grand public des mortiers supérieurs à 65 mm, alors que la vente jusqu'au calibre 110 est autorisée. Lundi dernier, au cours d'une réunion de travail avec le ministère, le Sfepa a proposé de ne plus vendre aux particuliers les mortiers rechargeables de 50 mm, les plus détournables. Une autorégulation refusée par le ministère.
Ce nouveau texte, «c'est de la connerie!», s'exclame ce responsable du magasin «Les Feux de la fête», boulevard Montparnasse, à Paris. «On peut aussi interdire la vente de bouteilles et d'essence, car ça sert à fabriquer des cocktail Molotov! La plupart des feux d'artifice sont concernés. Ils contiennent des mortiers, nécessaires à l'élévation des fusées et donc à la beauté du spectacle.» Pour ce vendeur, l'argument de la lutte contre l'insécurité ne tient pas : «Les mortiers de 65 à 105 mm sont inutilisables dans les manifestations ou lors de violence urbaine. En tir tendu, vu la puissance, les types s'arracheraient l'épaule. Les gabarits de 40 et 50 mm, j'ai déjà arrêté d'en vendre pour pas avoir d'embêtements.» Et de conclure: «Si c'est pour en vendre à dix clients, je ferai plus de mortiers du tout. Ça ne représente que quelques milliers d'euros.»
Le chiffre d'affaires annuel de la pyrotechnie de divertissement s'élève, en France, à 80 millions d'euros. Les mortiers, cela concerne finalement peu d'articles. Mais «on aurait préféré se faire hara kiri sur les plus petits articles, considérés comme les plus dangereux pour les forces de l'ordre, plutôt que d'assister à une stigmatisation indifférenciée et généralisée», explique Henri Miermont. «Par expérience, la paperasserie et des délais administratifs aléatoires découragent bon nombre d'acheteurs», prophétise le secrétaire général du Sfepa. Sur quels critères se fera la délivrance des autorisations ? Le syndicat d'ironiser: «Si vous vous appelez Monsieur Bernard et habitez en Lozère, cela ne devrait pas poser de problèmes...» Et d'ajouter : «Les personnes mal intentionnées n'iront pas demander une autorisation en préfecture ! Et le gouvernement ne va pas contrôler les colis d'importation.»
«A quand l'interdiction des machines à laver, des boules de pétanque, billes et autres béquilles ?», ironise le Sfepa. Autant d'objets détournés et retournés contre les forces de police.
Source Libé.